Une personne authentique est désencombrée de tout ce qu’elle n’est pas.Elle se donne le droit d’être, et d’être perçue telle qu’elle est : une somme de qualités, de limites, de réussites et d’échecs.Par réciprocité, elle vous autorise à être tout ce que vous êtes sans réserve.Cette cohérence entre ce qu’elle pense, dit et fait donne inexorablement l’envie de vivre de façon similaire.En somme, l’authenticité semble nous rendre libres, heureuses, uniques et créatives.À cette étape de mon évolution photographique, l’image qu’une personne renvoie au travers d’une photographie soulève chez moi plusieurs questions.Si l’image est devenue incontournable pour exister, pour sortir de l’anonymat (on le voit avec les différents médias sociaux), il m’arrive de plus en plus de m’interroger sur mon message, c’est-à-dire sur ce que mon oeil de photographe saisit et transmet.Qu’est-ce que je photographie ? Est-ce la vérité, l’authenticité de la personne ? Ou est-ce seulement une de ses facettes ? Or, capter le portrait d’une femme dans le but de servir son image publique lui laisse souvent peu de liberté pour révéler tout le charisme de son authenticité, toute la profondeur de son monde intérieur.On « contrôle » la vérité, et parfois même on l’étouffe, pour parvenir à répondre aux attentes d’une société où il faut se prouver et se faire accepter.J’ai pourtant la conviction que c’est précisément l’authenticité qui transparaît dans l’image qui est intéressante.Elle ne peut ni s’acheter, ni s’inventer, ni s’usurper.Elle instille la confiance, assure une légitimité et une expertise qui attirent, séduisent et ouvrent des chemins de réussites innovants.En somme, quand on travaille à partir de son authenticité, on ne joue plus, on ne force plus, on existe tout simplement.Avec ce projet je tente de m’approcher au plus près de l’authenticité des femmes et de la capter l’instant d’un moment à travers mon regard de photographe.
QUELQUES MOTS SUR LE PROJET
Les femmes que j’ai choisies pour nourrir ma réflexion sont, pour la plupart, connues du public et ont l’habitude d’être photographiées : elles inspirent par leur personnalité et leur carrière. Ce sont des femmes issues de différents domaines, mais qui offrent aussi une belle mosaïque en ce qui concerne la diversité (culturelle, corporelle, sexuelle…).Comme j’ai souhaité réaliser des portraits forts, libres et non maîtrisés, j’ai invité chacune d’entre elles à se laisser photographier dans le cadre de sa vie ordinaire ; un univers personnel et intime, un espace de liberté dénué d’attentes et de contrôle.Entre nous, il n’y a pas eu de protocole à observer.Je leur ai demandé d’être, tout simplement.Puis il m’est apparu fondamental d’impliquer mon modèle dans la découverte du résultat de notre séance.J’ai donc, dans un deuxième temps, invité chacune des femmes sélectionnées à visionner et à commenter les images, puis à choisir la photo sur laquelle elle se trouvait la plus vraie.Pourquoi celle-ci en particulier ? Que dit ce choix sur sa perception d’elle-même et son rapport à l’authenticité ? Je donnais également mon point de vue.Quelle image me semblait la représenter le plus fidèlement ? Finalement, une personne proche d’elle a fait ce même exercice sans concertation avec cette dernière.Son avis est intéressant, car il offre une autre perspective sur la réponse initiale de l’intéressée.Au-delà de l’exercice photographique, il s’agit un peu pour moi d’une quête de vérité à travers mon objectif.
« [Pour être authentique] il faut de la bienveillance et se sentir assez aimée… »
ANNE-MARIE CADIEUX,
comédienne
PRÉAMBULE
L’avant-veille de notre séance photo, je suis allée voir Embrasse au Théâtre du Nouveau Monde, la pièce dans laquelle Anne-Marie partage les planches avec quatre autres très bons comédiens.Nous sommes en octobre 2021, une première pour moi depuis la réouverture des salles de spectacles.Je suis très impressionnée à l’approche de ma rencontre avec cette grande actrice de théâtre.J’ai à peine le temps de poser le pied dans son appartement que ma gêne se dissipe aussitôt.Anne-Marie me propose de choisir avec elle la tenue qu’elle devrait porter pour les photos.Quel costume pour notre petite mise en scène ? semble-t-elle sous-entendre avec humour.Anne-Marie sait ce que les gens peuvent percevoir d’elle : une femme élégante et toujours en contrôle.« Mais dans l’intimité, j’aime ça faire des niaiseries ! Je m’émerveille beaucoup devant les petites choses », me dit-elle.La comédienne a accepté de participer, par goût du jeu, par curiosité et par respect pour l’art aussi.En effet, la photographie l’a accompagnée durant plusieurs périodes : deux artistes photographes de renom ont partagé sa vie, sa soeur Geneviève Cadieux et sa colocataire new-yorkaise Nan Goldin. Anne-Marie a d’ailleurs apprivoisé la lentille de l’appareil photo avant celle de la caméra.« J’ai commencé à faire des photos pour ma soeur, j’avais 15 ans », me raconte-t-elle.Pour pouvoir dévoiler la « vraie » Anne-Marie, il faut que le courant passe durant notre séance.« Comment être soi-même si on ressent une tension, si on doit satisfaire un désir, obéir à une attente ? Il faut de la bienveillance et se sentir assez aimée finalement », me révèle-t-elle. L’actrice semble être en paix avec son image.« Est-ce que c’est la fatigue de faire semblant ? Je peux être moi-même à présent, je ne suis plus dans une période de ma vie où je dois me définir.Je ne me demande plus qui je suis, je le sais. » Un privilège qui vient avec l’âge ? Il paraît qu’en vieillissant, on gagne en authenticité.
LE CHOIX DU MODÈLE
Lorsque je demande à Anne-Marie comment elle se sent avant de visionner les images, elle me répond : « Un peu stressée. » Elle compare le fait de voir son image à l’écran avec cette sensation étrange (ou plutôt étrangère !) que l’on éprouve lorsque l’on écoute sa propre voix et que l’on ne se reconnaît pas.Elle m’avoue même avoir détesté se regarder pour la première fois à l’écran.Nous visionnons les photos.Elle semble concentrée, dit en aimer plusieurs.Et affirme assez rapidement : « Je pense que je sais. » Néanmoins, on prend le temps.On s’attarde encore quelques instants sur certaines images, on tourne autour de quelques autres.Anne-Marie observe les détails, commente, élimine toutes les images prises à l’extérieur, celles sur lesquelles elle se trouve trop maquillée, celles qu’elle trouve trop « posées ».On les passe en revue plusieurs fois, elle hésite finalement, mais elle revient sur cette image, celle qu’elle a spontanément choisie dès le début ; celle devant laquelle elle a laissé échapper un discret « oh ».Anne-Marie y est assise sur son lit, dans sa chambre, un lieu intime.« Il y a quelque chose d’intérieur, de l’ordre de la contemplation.On dirait que je pense à quelque chose.Je me reconnais, je ne sais pas comment expliquer ça ! » Son expression sur la photo est ouverte, tandis que sa posture est plutôt fermée.Son regard semble porté au-delà de la caméra.« C’est doux, mais il y a en même temps une intensité, un mystère », analyse-t-elle.
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LE CHOIX DE LA PHOTOGRAPHE
Anne-Marie m’accueille dans une maison pleine de fleurs.De gros bouquets posés çà et là amplifient le côté féminin de son décor.Elle m’explique qu’elle vient de fêter sa sixième décennie de vie.Anne-Marie Cadieux, 60 ans ? Ça ne se peut pas ! La comédienne est très consciente de son image.Comment peut-il en être autrement quand on consacre sa vie au théâtre et au cinéma ? C’est en toute solidarité féminine que nous échangeons sur ces petits signes du temps qui trahissent notre « maturité ».Comment la conversation en est-elle arrivée là ? Je me rappelle seulement lui avoir fait mention d’une anecdote sur la transformation de mon visage, car la gravité ne pardonne pas chez les femmes de 50 ans et plus, qu’on se le dise… Et Anne-Marie se laisse aller à quelques grimaces, allongée sur son lit.Le rire est instantané et complice.Cette photo est pour moi une forme de pied de nez, une acceptation par l’humour de notre condition de femmes et du vieillissement qui apporte son petit lot d’irritants.Faut-il être un peu drôle pour être authentique ? En tout cas, ne pas trop se prendre au sérieux, c’est certain.Et de cela, Anne-Marie en est tout à fait capable.
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LE CHOIX D’UNE PROCHE Pour beaucoup de gens, Anne-Marie Cadieux est la grâce et l’élégance incarnées, et ils ont bien raison.Pour d’autres, elle est cette actrice merveilleuse, grande tragédienne et grande comique, et ils ont bien raison aussi.Pour moi, Anne- Marie est tout ça, bien sûr, mais elle est surtout cette douceur et cette lumière qu’on voit sur la photo.Loyale, délicate, incandescente… elle est l’une des rares qui a le pouvoir de m’apaiser et de m’insuffler une force de vivre.Son intelligence si vive, son élégance de l’âme si unique et son incroyable compréhension des humains font d’elle une amie précieuse sans qui je ne serais pas tout à fait qui je suis, et surtout sans qui la vie serait beaucoup moins douce et belle.
Émilie Bibeau, amie d’Anne-Marie
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